vendredi 1 mai 2009

Quelques réflexions sur la recherche en psychologie


Déshumanisation de la recherche en psychologie cognitive

par Monica

Le milieu dans lequel j'exerce (la recherche en psychologie cognitive et neuropsychologie), utilise volontiers un lexique spécialisé, dont une grande partie est, je l'ai vite remarqué, constitué d'une langue de bois très opaque.

Or à mes yeux ce qui se pense clairement doit s'énoncer clairement.
Par ailleurs, les finalités de certaines recherches m'apparaissent parfois contestables.

La langue de bois est de plus en plus constituée de néologismes, tirés d'un vague et inélégant franglais. Par exemple, on ne parle plus des capacités, mais des habiletés (tiré de l'anglais abilities).

Il ne s'agit pas simplement d'une question de lexique, bien entendu. Comme nos articles ne sont pas reconnus s'ils sont écrits en français, nous devons les formater pour les rendre publiables dans des revues anglo-saxonnes. Ah! les Critères de Shangaï inventés par les Lois du Marché de la Recherche que Sarkozy et Pécresse tentent de nous imposer, que d'assassinats de la pensée ne commet-on pas en leur nom!

Cruel exercice qui consiste non pas seulement à traduire notre pensée, mais à l'organiser dans une autre structure. Ce qui se perd de richesse et de nuances dans le processus est inouï. Je me sens littéralement castrée...

Lorsque l'on dépasse l'opacité du discours scientifique qui frappe et rebute le non spécialiste, que voit-on le plus souvent ? Des idées banales, parfois des portes ouvertes que l'on enfonce avec un bélier de rigueur dite scientifique. On se réfère à un modèle, on fait des hypothèses et des prédictions, puis on applique le plan expérimental à grands coups de concepts, avec des paradigmes expérimentaux très contrôlés (le sujet a-t-il appuyé sur la touche A ou la touche B de l'ordinateur), des calculs statistiques sophistiqués.

- Au bout du compte, les chercheurs vont, par exemple, démontrer que les enfants n'apprennent pas seulement l'orthographe des mots par les règles qu'on leur enseigne à l'école, mais également par un apprentissage dit implicite: la fréquentation des mots écrits. Plus les mots écrits sont familiers et présents dans la vie quotidienne, plus les enfants les rencontrent et en mémorisent la forme. Ils vont saisir qu'en français un mot ne commence jamais par une double consonne, et que certaines consonnes ne se doublent pas (x par exemple). Oui, et alors? Ne le savions-nous pas déjà ? Pourquoi fallait-il en administrer la preuve ? Cette recherche-là n'est-elle pas une redondance, un pâle écho de la réalité ? Elle ne nuit pas, en tout cas, dirons-nous avec bienveillance.Ce n'est pas ainsi que je conçois la recherche, mais pourquoi pas ?

- Certaines recherches, appliquées non à des sujets dits normaux mais à des patients, deviennent en revanche contestables. Partant d'un modèle préétabli, les chercheurs vont élaborer des hypothèses et recourir à des patients (on appelle cela l'accès aux patients, terme terrifiant) pour prouver la validité de leurs prédictions. La maladie dans ce cadre-là n'est que le révélateur de la normalité. Il est hors de question, nous dit-on, que l'on s'intéresse à la pathologie en elle-même: ce n'est pas de la noble psychologie cognitive, ça met les concepts dans le cambouis de la clinique. Ce qui intéresse les chercheurs, c'est de trouver des patients atteints de pathologies qui sont connues pour altérer telle et telle fonction, telle et telle capacité, et de valider leur modèle. Ainsi, grâce aux patients atteints d'Alzheimer, on va prouver a contrario qu'une partie du cerveau (l'hippocampe) est bien impliquée dans la mémoire autobiographique.

Le problème est que tous les patients n'ayant pas la même histoire et la même expérience de la vie, ils n'ont pas le même cerveau. Que le cerveau est une matière éminemment plastique, capable de s'adapter à une tumeur pendant des années, et de transférer certaines fonctions à d'autres réseaux. Sous l'effet de tumeurs d'évolution très lente, le cerveau peut littéralement se passer de zones que l'on estimait indispensables, lorsque l'on se référait à un schéma classique des localisations cérébrales (par exemple: on comprendrait le langage par l'aire de Wernicke et on le produirait par l'aire de Broca). Ces recherches pâtissent donc du fait qu'elles s'appuient sur des modèles fixistes, biaisés du fonctionnement du cerveau, et du fait qu'elle ne prennent pas en compte les différences entre les individus, différences qui sont liées à leur histoire et à leur expérience.
Mais, par-delà, se pose un problème éthique.

Vendredi, j'ai rencontré un patient qui va subir prochainement une intervention chirurgicale sur le cerveau, avec lequel je me suis entretenu de ses problèmes et angoisses, et auquel j'ai proposé des épreuves qui pourront ensuite guider la prise en charge postopératoire. Il m'a dit, assez étonné, qu'un jeune chercheur était venu le voir pour lui faire passer une expérience. A quoi cela va-t-il me servir ? a-t-il demandé. C'est purement expérimental, lui a-t-il été répondu. Je ne suis pas un cobaye, a-t-il dit, et il a refusé.

Déshumanisation de la langue, de l'approche scientifique, et déshumanisation tout court semblent cheminer ensemble.

Il faut y prendre garde. Nous ne sommes plus dans la Science, mais dans le scientisme.

En matière de psychologie, le danger est immense.

3 commentaires:

  1. entièrement d'accord avec toi et philippe m'approuve!

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  2. garder le bon sens semble être évident et pourtant le "joli langage muré" rassure, donne de la consistance et de l'importance à celui qui s'en gargarise...Encore cet égo qui déborde tellement que l'on perd le sens de soigner, de guérir: médecin du cerveau s'opposerait au médecin de l'âme!! On dissèque au lieu de rassembler...La fonction 1ère du verbe est de faire coexister des réalités physiques, émotionnelles, mentales. Or pour ce faire il faudrait être stabilisé, avoir confiance en ce qu'on donne...les mots deviennent alors des maquillages qui griment nos peurs et empêchent le discours du bon sens: la sensibilité dans la matière...

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  3. J'aime bien les expressions du "joli langage muré", des "mots maquillage", et de la dissection au lieu du rassemblement, tellement justes.
    Il est parfois plus facile, pour les êtres, de se cacher derrière les mots pour ne pas toucher du doigt les choses. Car toucher expose à l'autre et oblige à dénuder le soi...

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