mardi 15 mars 2011

Poulets-sitters













Poulets-sitters

par Melchior

À Virgil B., qui élève des poules.


Dans un canton reculé de notre Région, adossé à la forêt, vivaient à la lisière d’icelle des éleveurs de poulets, qui, disposant d’assez vastes propriétés, mais aussi d’amples loisirs, avaient entrepris de chercher - un éleveur de poulets averti en vaut deux - la manière optimale de régler les rapports entre la bête à nourrir, la nourriture, l’espace-temps… Quantités et qualités, disposition, modalités d’accès… Sans oublier l’eau, ni les petits cailloux nécessaires à la digestion, et les abris et les lieux propices à la couvaison, tout ça, quoi, et le reste. Comment disposer et faire varier ces facteurs, et d’autres encore, de façon optimale.

Cent fleurs de théorie s'étaient épanouies, et mille équations impeccables, plus ou moins heureusement fondées sur l’observation des faits et l’anticipation des extrapolations divergentes qu’en feraient les vendeurs de grain, le lobby des défenseurs de la condition du poulet, les marchands de volailles, et cetera et tous les autres. Certains théoriciens prônèrent le strict gavage accéléré en espace réduit, d’autres, à l’opposé, défendirent l’idée du poulet libre cherchant à sa guise sa pitance disséminée tout autour du poulailler libre, un équilibre satisfaisant devant s’instaurer spontanément ou c‘est tout comme… In medio stat virtus: quelques-uns se déclarèrent pour une intervention limitée de l’éleveur: la liberté a besoin, disaient-ils, d’encadrement.

Or il advint que, s'ennuyant au logis, les éleveurs de poulets voulurent, c’est bien naturel, s’offrir quelques jours de vacances. C’est pourquoi ils se mirent en quête de personnes de confiance qui voulussent bien faire office de poulets-sitters. Une famille du voisinage se présenta, et, sur sa bonne mine et ses belles manières, fut agréée.
- N’omettez pas (leur recommanda-t-on) de prendre connaissance de notre théorie sur les temps, distances et quantités à respecter quant à la mise en présence de la bête qui veut se nourrir et de la nourriture mise à disposition. Il y a un optimum, donné par des formules. Le principe général est que le sujet se nourrissant se nourrit mieux quand il est (par la nature et par l'occasion) mis en état de désirer au plus fort sa nourriture, et que c'est à cela qu'il faut faire tendre nos efforts.
- Bien sûr, bien sûr ! (dirent les poulets-sitters). Nous sommes tout acquis à ce principe, n'en doutez pas et passez de bonnes vacances.
Or ces poulets-sitters, bénévoles et compétents, n’étaient autres que des goupils, longue queue touffue, oreilles pointues, cervelle rusée et dents aiguës, oui-da, goupils de chez goupil, et l'on devine la suite, et quelle application ils firent de la théorie des rapports entre la bête qui veut se nourrir et la nourriture qu'elle trouve ou qu'on lui abandonne, et l’on imagine dans quel état les éleveurs

Revenus après un moment
Derechef se mettre à l’ouvrage
Ont retrouvé leurs élevages
Après l’orgie d’égorgement.
De même que le poulet qui picore le grain est dévoré par le renard, de même la spéculation financière domine le capital industriel et s’en nourrit tout comme celui-ci régit la production des biens et services, et en profite; et les peuples gagneraient à mieux choisir leurs entreprises-sitters.

(Fable inspirée par la lecture du fameux Manifeste d’économistes atterrés).

3 commentaires:

  1. Quelle fable élégamment tournée, mon cher Melchior!

    Cot cot les pauvres petites poules...

    Certes oui, les peuples gagneraient à mieux choisir leurs entreprises-sitters!

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  2. Là bas, dans l'Empire du soleil levant, es pauvres poules sont en train de bouillir dans un affreux chaudron aux fumets radioactifs.

    Apparemment, l'entreprise assurant l'entretien des centrales est un drôle de renard. Damned.

    Je viens de trouver un excellent article sur Agoravox, avec un Fil bien documenté.
    ICI

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  3. Les vilains goupils veulent faire de nous des poules mouillées, damned!

    ICI

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